🇫🇷« 1 Français – 1 portrait » 🇱🇺Franck Leprévost : l’université du Luxembourg dans la peau

Franck Leprévost dans la série « 1 Français – 1 Portrait »

Prénom / Nom : Franck Leprévost

Année de naissance : décembre 1965

🇫🇷Origines : Cherbourg dans le Cotentin (Manche 50)

🧑🏽‍💻Spécialité / Profession : professeur d’université à la frontière entre Mathématiques et Informatique, le tout associé à la recherche sur la sécurité des systèmes d’information et l’intelligence artificielle. Conférencier à l’international (Cambodge en juin et prochainement la Thaïlande). Auteur de deux romans.

🇱🇺Arrivé au Luxembourg : en 2003

🏠 habite : Quartier gare (Luxembourg ville).

❤️‍🔥Passions et occupations : lecture et écriture de romans, littérature classique (Hemingway, Flaubert, Hugo, Dostoievski). La recherche scientifique et le travail en équipe et la rédaction d’articles.

🎦🎼🎶Film et musique :

Concerto pour violon de Tchaikovsky, les œuvres au piano de Érik Satie par Jean-Yves Thibaudet

Le film « La taupe », un film d’espionnage, mais aussi les films cultes français comme « Les tontons flingueurs », « Le clan des siciliens », « Le Chat » avec J. Gabin et S.Signoret, « l’armée des ombres » et enfin « Les grandes familles » … Ceci est une liste non exhaustive de films ….

🇱🇺Au Luxembourg, il conseillerait : le château de Vianden ou de Bourglinster, la vallée du Mullerthal, le musée de la Villa Vauban et le Théâtre des Capucins (même si il n’y a pas assez de pièce en français selon lui)

Le 29 août 2025, c’est chez lui, dans l’intimité de son domicile, que Franck Leprévost a accepté de se prêter au jeu de l’interview pour la Communauté des Français du Luxembourg. Né en décembre 1965, ce professeur d’université, chercheur en mathématiques et informatique,et écrivain, a marqué durablement la vie académique du Grand-Duché. Derrière une carrière scientifique impressionnante se dessine le portrait d’un homme passionné par la transmission du savoir, profondément attaché au Luxembourg, mais aussi lucide et parfois inquiet face à l’évolution du monde.

Un pionnier de l’Université du Luxembourg

Lorsque Franck Leprévost arrive au Luxembourg en 2003, l’université vient tout juste de naître. Deux chercheurs luxembourgeois rencontrés lors d’une école d’été en cryptographie à Grenoble l’avaient convaincu de participer à cette aventure hors du commun. « On ne crée pas une université tous les jours », explique-t-il avec enthousiasme. Vice-président de 2005 à 2015, il joue un rôle central en compagnie de Rolf Tarrach dans le développement de l’institution, son internationalisation et son entrée dans les grands classements mondiaux tels que celui de Times Higher Education et le classement de Shanghai.

Il insiste : « l’Université du Luxembourg n’avait pas seulement vocation à former des étudiants, mais à devenir un atout stratégique pour le pays ». Sa mission a été d’apporter une impulsion claire, de défendre des idées nouvelles et de maintenir le cap malgré les difficultés et les contradictions inhérentes à tout projet pionnier. Être vice-président signifiait aussi être très visible dans un petit pays : « Quand je sortais dans la rue, tout le monde avait un avis sur ce qu’il fallait faire pour l’université », sourit-il. Mais il garde la fierté d’avoir vu nombre de ses intuitions et idées se concrétiser.

Entre mathématiques, informatique et cybersécurité

Scientifique avant tout, Franck Leprévost se situe « entre les mathématiques pures et l’informatique », sans négliger ses aspects sociétaux (son rapport de 1998 pour le Parlement Européen sur le réseau Échelon et les questions d’espionnage industriel avait conduit la plupart des pays européens à changer du jour au lendemain leur législation en la matière). Ses recherches portent aujourd’hui sur la sécurité des systèmes d’intelligence artificielle, un domaine crucial dans un monde où les algorithmes occupent une place grandissante. Chercheur prolifique, il publie dans les deux disciplines et voyage régulièrement pour donner des conférences à travers le monde. Dernièrement invité au Cambodge, il interviendra bientôt en Thaïlande lors d’une conférence académique.

À l’Université du Luxembourg, il enseigne en Bachelor et en Master, encadre doctorants et post-doctorants, et collabore avec son équipe de recherche sur des projets internationaux. Son bureau, comme son esprit, est en permanence habité par cette dynamique intellectuelle.

Un intellectuel complet : sciences et culture

Mais Franck Leprévost n’est pas seulement un scientifique. Il est aussi un passionné de culture, au sens le plus large. Il lit énormément – surtout des romans classiques français, russes et américains du XIXe siècle – et confie écrire lui-même, aussi bien des essais que des fictions. En musique, ses matins commencent au son des œuvres pour piano d’Érik Satie interprétées par Jean-Yves Thibaudet. Côté cinéma, il est aussi à l’aise devant les grands classiques français (Les Tontons Flingueurs, Le Clan des Siciliens, Le Chat, L’Armée des ombres) que devant des films d’espionnage plus contemporains comme La Taupe avec Gary Oldman.

La peinture occupe également une place importante, un goût qu’il partage avec son épouse. Plus qu’un passe-temps, cette curiosité culturelle est pour lui une véritable respiration.

Dans ce foisonnement culturel digne d’un homme de la Renaissance, il évoque également la chaîne INA avecnotamment la série « Les Rois Maudits ». Cette série raconte les affrontements de la France du 14è siècle, de la succession de Philippe le Bel jusqu’à la guerre de 100 Ans.

Petite note personnelle de l’interviewer, Christophe Biraud « ça va m’en faire des films et des séries à voir, des musiques à écouter et des livres à lire » 😆

Intégration, relations et ancrage au Luxembourg

En tant que vice-président, Franck Leprévost a tissé des liens solides avec le corps diplomatique, notamment les ambassadeurs Pierre Ferring, Jean-Claude Kugener, le consul général Luc Decker et plusieurs personnalités politiques luxembourgeoises. Il se souvient notamment de ses échanges avec Pierre Gramegna, alors directeur de la Chambre de commerce puis ministre des Finances, ou encore avec François Biltgen, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Mais celle qu’il cite avec le plus d’émotion reste Erna Hennicot-Schoepges, qu’il décrit comme « une femme absolument remarquable, courageuse et visionnaire », à l’origine de l’Université et de la Philharmonie.

Il citera aussi Jeannot Krecké, Lucien Thill dans le monde politique, Jean Ries, Robert Dennewald, Yves Elsen dans celui de l’industrie, et d’autres …

Son engagement au Luxembourg, confie-t-il, a toujours été accueilli avec soutien et amitié, indépendamment de sa nationalité.

Ce soutien du corps diplomatique, politique et industriel lui a permis et facilité son excellente intégration au Grand-Duché.

Les amis ou la famille débarquent au Luxembourg pour deux jours, quel sera votre programme ?

Pour Franck Leprevost, ce sera assez classique, une visite de la ville de Luxembourg … le soir, une pièce de théâtre, peut-être une découverte de la vallée du Mullerthal ou de la vallée des châteaux, le château de Bourglinster par exemple.

« Nous n’irons pas spécialement au restaurant, car,comme nous aimons recevoir, nous privilégierons plutôt de cuisiner et de recevoir au mieux nos amis. »

Quoi améliorer au Luxembourg ?

Pour Franck Leprévost, il est très difficile de répondre à cette question. En tant qu’étranger et résident français au Luxembourg, il préfère en toute pudeur dire qu’il se considère, même après plus de 20 ans dans ce pays,toujours comme un invité ici au Grand duché. Autant se permettrait-t-il de dire ce qu’il pense à un ministre français, autant pour le Luxembourg il préfère « respecter le pays hôte ».

Toutefois, il souhaite « que le Luxembourg puisse préserver sa tranquillité » faisant allusion aux nombreux problèmes de sécurité que la capitale commence à connaître.

Regards sur l’éducation en règle générale : inquiétude et exigence

Le professeur ne cache pas ses inquiétudes face à la dégradation du niveau éducatif. Il s’insurge contre une tendance croissante à croire que « voir, c’est savoir » : regarder une vidéo explicative suffirait, pour beaucoup d’étudiants, à maîtriser une notion. Or, rappelle-t-il, la lecture, l’écriture, l’orthographe et la culture générale sont des piliers indispensables de la pensée critique, et nécessitent un effort concret, personnel, souvent solitaire, dans le silence.

Il regrette que de nombreux jeunes ne connaissent plus ni Molière, ni Victor Hugo, ni Toulouse-Lautrec, ni même l’histoire longue de la France. Cette perte de repères, associée à la peur de la solitude et au conformisme des réseaux sociaux, l’inquiète profondément : « Les gens ont souvent peur de la liberté. Alors ils préfèrent penser comme la masse. »

Pour lui, les sciences dures restent une école d’indépendance intellectuelle, car « même si 99 % des gens affirmaient que 1+1 ne font pas 2, les mathématiques resteraient implacables ».

Un regard critique sur la France

Depuis le Luxembourg, Franck Leprévost observe la France avec une grande sévérité. Il parle d’un « fiasco » :

Fiasco budgétaire, avec une dette publique colossale et un déséquilibre chronique depuis 1974; fiasco migratoire, avec une immigration qu’il estime incontrôlée; fiasco industriel, marqué par la vente de fleurons stratégiques à l’étranger ; fiasco diplomatique, illustré par l’affaire de l’écrivain français Boualem Sansal détenu en Algérie; fiasco idéologique, enfin, avec l’influence grandissante des courants “woke” dans l’éducation et les entreprises.

Il reconnaît éprouver une nostalgie de la France de son enfance, qu’il estime plus solide, plus sûre, mieux structurée et plus ambitieuse.

Retraite, Normandie ou Luxembourg ?

À l’approche de l’âge de la retraite, Franck Leprévost confie ne pas avoir encore arrêté son choix. Le Luxembourg reste une possibilité, mais son cœur penche aussi pour la Normandie, sa région natale et qui est aussi une région chère à son épouse. Aucun des deux ne craint la pluie : « Si on ne vivait vraiment que les jours de soleil, on rétrécirait son existence. »

Écrivain et romancier

Au-delà du scientifique, il y a aussi l’auteur.

Son premier roman, « Le Théorème de l’Ange » est un roman foisonnant qui croise destins individuels et grandes questions de société. On y suit une succession d’histoires entrelacées : un massacre dans un aéroport, la mémoire d’une famille arménienne, une artiste marquée par la peur, un député face à ses dilemmes, un fonctionnaire manipulant un téléphone mystérieux, ou encore un policier explorant l’intelligence artificielle. Au cœur de ce puzzle, un mathématicien éclaire la quête d’un homme en recherche de sens. Le livre aborde des thèmes puissants : terrorisme, mémoire collective, transmission, amour et identité française.

Dans son second ouvrage « Ils portent les foudres de Neptune » Franck Leprévost entraîne ses lecteurs dans une fresque où il décrit les rouages du financement du terrorisme, et où s’entrecroisent la violence gratuite et le crime organisé, la vengeance personnelle et la raison d’État. Ce deuxième livre, au confluent du roman policier et du roman d’espionnage, est aussi un impitoyable roman d’enracinement et de filiation, et fournit un portrait au scalpel de la France.

Un message à la Communauté des Français du Luxembourg

En conclusion, Franck Leprévost tient à remercier la Communauté des Français du Luxembourg pour son rôle fédérateur et propose d’y contribuer, notamment à travers une conférence sur la cryptographie, l’intelligence artificielle ou les classements internationaux des universités et ce qu’ils disent du dynamisme des nations. « Vous avez réussi à créer un lieu d’échanges qui manquait », dit-il.

En conclusion

Ce portrait révèle un homme multiple : scientifique rigoureux, intellectuel engagé, écrivain passionné, mais aussi citoyen lucide. Un véritable puits de sciences et de culture « avec qui nous passerions bien la nuit à discuter ».

Entre nostalgie, inquiétude et espoir, Franck Leprévost incarne cette figure rare d’enseignant-chercheur, d’universitaire et d’homme qui n’a jamais cessé de croire en la valeur du savoir et en sa nécessité pour penser librement.