Un article rédigé par
Mr Édouard KAYSER,
Professeur honoraire à l’Athénée
de Luxembourg, historien
Il y a 80 ans, des Luxembourgeois,
au sein de la Brigade Piron, libéraient Cabourg, Trouville, Villers-sur-Mer…
Le 6 juin dernier a été célébré le 80e anniversaire du Jour-J, c’est-à-dire du premier jour du débarquement allié en Normandie qui allait se poursuivre tout au long des semaines et des mois à venir.
Ainsi, la Division Leclerc (2e DB), ne débarqua que deux mois plus tard, dans les premiers jours du mois d’août. Elle allait, trois semaines plus tard, entrer – grâce à l’insistance du général de Gaulle et à la compréhension du général Eisenhower, chef suprême des opérations alliées en Europe – dans Paris en tête des libérateurs, puis marcher sur Strasbourg où, vers la fin de l’année 1944, serait enfin honoré le fameux serment de Koufra prêté par Leclerc le 2 mars 1941, alors que les Français libres se comptaient pour ainsi dire encore sur les doigts de la main.
Chose largement ignorée par le grand public, les villes et villages de Normandie n’ont pas tous été libérés par des soldats américains, britanniques ou canadiens. En effet, divers gouvernements en exil à Londres, du fait de l’occupation de leur pays par l’Allemagne nazie, avaient peu à peu constitué en Grande-Bretagne des unités plus ou moins importantes regroupant les hommes qui avaient réussi, en encourant souvent des risque énormes, à rejoindre l’Angleterre. Au même moment que la 2e DB française, on vit ainsi débarquer la Brigade néerlandaise « Princes Irene » (du nom de la princesse Irène) et, dans le secteur dit « Juno », le « 1st Belgian Group » déjà qualifié de « Brigade Piron » (du nom de son commandant, le futur général Jean-Baptiste Piron).

Ce qu’on sait moins encore, c’est qu’un certain nombre de Luxembourgeois avait également réussi à gagner l’Angleterre avec l’intention de se battre contre l’Allemagne qui, le 10 mai 1940, avait occupé et annexé de fait le Grand-Duché pourtant neutre depuis 1867. Ces Luxembourgeois étaient soit des expatriés provenant d’un peu partout dans le monde, soit des hommes qui s’étaient engagés dans la Légion étrangère (une quarantaine de soldats aguerris) et qui, en conséquence du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord encore soumise à Vichy (Opération « Torch », novembre 1942), avaient pu en être libérés pour s’engager dans une unité alliée, soit encore des enrôlés de force (des « Malgré-Nous », comme on dit en Alsace-Moselle) qui avaient, d’une manière ou d’une autre, réussi à fausser compagnie à la Wehrmacht, par exemple lors des opérations alliées de débarquement dans les environs de Naples.
Le Grand-Duché, vu sa taille et son statut de neutralité, n’avait guère de tradition militaire, et son gouvernement en exil était largement dépourvu de moyens matériels ou autres. Aussi, les Luxembourgeois furent-ils finalement intégrés aux forces belges en Grande-Bretagne. D’une part, ces hommes n’auraient pas pu, à eux seuls, former une unité indépendante significative et, d’autre part, le gouvernement belge en exil, qui disposait des ressources de ses colonies africaines, n’avait aucune raison, bien au contraire, de se passer de dizaines de volontaires susceptibles de renforcer ses propres effectifs qui, tout compte fait, étaient relativement modestes. Soulignons ici, à toutes fins utiles, que la Belgique et le Luxembourg vivaient en union économique depuis le début des années vingt, et que les membres des deux gouvernements en exil, qui se connaissaient donc assez bien, avaient pu sans trop de difficultés s’accorder pour intégrer les Luxembourgeois dans la brigade en cours de formation. Précisons encore que les ex-enrôlés de force dans la Wehrmacht reçurent une nouvelle identité afin que les Allemands ne puissent pas les reconnaître en cas de capture, capture qui aurait irrémédiablement mené devant un peloton d’exécution.

C’est donc ainsi que les volontaires « grands-ducaux » se retrouvèrent dans la brigade commandée par le colonel breveté d ́état-major Jean-Baptiste Piron. Devenue belgo-luxembourgeoise de fait, cette unité était équipée à la britannique et se composait, au moment du débarquement, d’un état- major, d’une unité de reconnaissance ou « Scout Section » disposant de blindés légers sur roues, de trois grosses compagnies d’infanterie motorisées équipées d’armes lourdes, d’un groupe d’artillerie, « gros noyau de régiment » (les Britanniques le qualifiaient d’ailleurs de « Fist Belgian Field Artillery Regiment ») fort de trois « troops » dotées chacune de 4 canons-obusiers (des « 25 pounders » d’une portée de 13.400 yards), d’une compagnie du génie, d’un élément de transmissions, d’une antenne médicale et d’un élément d’ordonnance.

Bref, il s’agissait d’une unité à la fois très mobile et dotée d’une remarquable puissance de feu. Le gros des Luxembourgeois furent versés dans l’artillerie où ils eurent une « troop » bien à eux, d’ailleurs vite appelée « Luxembourg Battery », dont seuls les deux officiers-instructeurs étaient belges. Leurs quatre canons-obusiers portaient les prénoms des quatre filles de Charlotte de Luxembourg, la grande-duchesse régnante alors en exil.
En Normandie, les hommes de Piron, dont la brigade fut successivement, au gré des événements, placée sous le commandement supérieur d’un général canadien puis de généraux tantôt britanniques, tantôt américains, libérèrent, seuls ou en liaison avec d’autres unités alliées, toute une série de localités situées entre l’Orne et Le Havre, dont Cabourg, Villers-sur-Mer, Deauville, Trouville, Honfleur, Saint-Maclou, Pont-Audemer…
Par après, la Brigade Piron fut dirigée vers le nord. Elle prie part à la libération de Bruxelles et, après un temps de repos dans les environs de la capitale, elle fut engagée dans les combats se déroulant dans le Limbourg belge et dans le sud des Pays-Bas, pour ainsi dire en marge de l’Opération « Market Garden » qui fit rage plus au nord.
La Brigade Piron, qui avait récupéré pas mal de combattants volontaires au fur et à mesure de sa progression à travers la Belgique, s’arrêta au printemps 1945 en Rhénanie, mission accomplie. Les officiers et sous-officiers belges formèrent alors le noyau dur des cadres de l’armée reconstituée en Belgique au lendemain de la guerre. Quant aux Luxembourgeois qui étaient devenus officiers, aspirants ou sous-officiers durant le conflit, ils rejoignirent l’armée luxembourgeoise mise sur pied au lendemain de la guerre, la neutralité ayant été abandonnée au profit d’alliances conclues dans le cadre de différents pactes qui sont à l’origine de l’OTAN. Jusqu’en 1967, le Grand-Duché connut d’ailleurs le service militaire.
Pour finir, il convient de souligner que bien d’autres Luxembourgeois s’étaient enrôlés individuellement, au gré des circonstances, dans diverses unités alliées, comme les Bérets verts britanniques (Commando Kieffer, p. ex.), telle ou telle marine alliée, la Royal Air Force, l’US Air Force, la section belge des SAS (Special Air Service)…
Edouard Marc Kayser (Professeur honoraire à l’Athénée de Luxembourg, historien)
Pour en savoir plus :
- Guy WEBER « Des hommes oubliés – Histoire et histoires de la Brigade Piron »; Bruxelles, 1978.
- Jacques WANTY « Combattre avec la Brigade Piron » ; Bruxelles, 1985.
- Jacques DOLLAR
& Robert (‘Bob’) KAYSER « Histoire de la Luxembourg Battery »; Luxembourg, 1982.
- La brigade Piron (Wikipédia)
- Jean Alphonse Robert (‘Bob’) Kayser (Wikipédia)
- Les Luxembourgeois de la Brigade Piron (Wikixix)
- Histoire de la Brigade Piron (1940-45)
Petit mot de l’auteur de cet article :
Mon père (Robert Kayser), dit Bob Kayser qui fut enrôlé de force dans la
Wehrmacht à l’été 1942, eut la chance d’être engagé en Italie du Sud
où il faussa compagnie à la Wehrmacht en septembre 1943. Il traversa
nuitamment les lignes pour rejoindre les Américains. Ceux-ci, après
« dédouanement », le transférèrent par bateau en Grande-Bretagne, via
l’Algérie, et il se porta volontaire pour la Brigade Piron où il
servit dans la « Luxembourg Battery ». Avant le Débarquement, il
commença sa formation d’officier, qu’il poursuivit après les combats,
et dans la suite il devint aspirant puis officier dans l’Armée
luxembourgeoise d’après-guerre.